Shiatsu et cancer du sein : soulager les douleurs des patientes en traitement

24 Mai, 2024
Reading Time: 9 minutes

Barbara Aubry est l’une des enseignantes françaises qui depuis des années ne cesse de lancer des initiatives. Installée sur Paris, elle enseigne au sein de la structure « Art du toucher » où chaque année elle invite un grand nombre d’enseignants nationaux et européens. Mais son dynamisme la pousse à ouvrir toutes les portes qu’elles peut trouver sur son chemin afin de promouvoir le Shiatsu. Dans cet article, elle nous révèle les résultats de l’étude qu’elle et son équipe ont réalisée concernant le support que peut apporter le Shiatsu en milieu hospitalier aux personnes atteintes de cancer du sein. Vous trouverez dans ce rapport tous les détails de cette première expérience, point par point. Une initiative de plus concernant le Shiatsu et le cancer qui est à saluer et qui motive à frapper aux portes des institutions.


Je voudrais partager cette expérimentation sur l’impact du shiatsu comme soin de support dans l’après cancer. Cette expérimentation a été construite en partenariat entre l’Art du toucher, école de formation au sensitive shiatsu, l‘Hôpital Tenon et l’APHP, déjà engagés ensemble depuis 2020 par la proposition de séances courtes de shiatsu, sur le site de l’hôpital Tenon (Paris 20ème), pour les personnels soignants. Elle s’est déroulée au premier semestre 2023 après deux ans de préparation administrative et technique et grâce au soutien financier du laboratoire Daiichi Sankyo. 

Cadre de l’expérimentation Shiatsu et Cancer du sein

Le projet a accueilli 18 patientes orientées par leurs chirurgiens ou médecins, eux-mêmes sensibilisés au projet par leurs pairs du comité de direction du projet et par l’expérience directe d’une séance de shiatsu.

Les patientes sélectionnées avaient pour points communs :
– d’avoir subi une mastectomie totale en 2022, avec ou sans reconstruction ;
– d’être en fin de traitement après une chirurgie avec ou sans traitement par radiothérapie, avec ou sans traitement anti-hormonal.
– de ne pas avoir reçu de chimiothérapie.

Nous avons proposé un accompagnement de chaque patiente sur 5 séances. Soit pour l’ensemble du programme un total de 90 séances. 

Le nombre de séances et de femmes accueillies a été fixé après de grandes hésitations. Dans un budget contraint, veut-on faire bénéficier le plus grand nombre de femmes possible des bienfaits du shiatsu ou souhaite-t-on accompagner plus en profondeur certaines d’entre elles ?

Nous avons fait le choix d’un temps d’accompagnement plus long, dont la pertinence a été confirmée par l’expérience. 

Nous avons fixé la durée des séances à 50 minutes (shiatsu + temps d’échange avant et après le soin) et leur répartition sur 3 mois dans la double intention de pouvoir observer l’effet cumulé des séances et d’éviter la démobilisation des femmes.

Barbara Aubry, fondatrice de l’Art du Toucher

Environnement pour les séances

Nous avons choisi de recevoir les patientes dans le dojo de l’Art du toucher plutôt que dans le centre hospitalier à deux pas. Ce choix a été motivé par une volonté de marquer le changement du cadre des soins par l’accueil dans un espace non médicalisé.

Nous avons choisi de recevoir les femmes en groupe sur un jour et avec un horaire dédié avec l’idée de fixer un rythme et d’ôter le côté intimidant de la nouveauté en accueillant 2 ou 3 femmes à la fois dans l’espace du dojo. Nous avons reçu un premier groupe de 11 patientes puis un deuxième groupe de 7.

Nous avons laissé le choix aux patientes de choisir leur praticien (nous étions deux femmes et un homme) et les différents espaces installés dans le dojo. Les femmes pouvaient ainsi recevoir sur table ou sur futon, suivant leur état et leurs envies du moment.

Durant toute la durée de l’expérimentation, un lien régulier a été fait entre l’hôpital et les praticiens de shiatsu. Les médecins et les infirmières d’annonce suivant les patientes étaient au fait de leur parcours de shiatsu.

L’évaluation de la qualité de vie a été réalisée sur la base d’un questionnaire validé par l’administration hospitalière avant et après l’ensemble des séances. Nous avons établi des thèmes classiques de questions portant sur la douleur, la fatigue, la somnolence, les nausées, le manque d’appétit, l’essoufflement, la dépression, l’anxiété, le mal être. 

L’importance du shiatsu pour les patientes

Pour les trois praticiens que nous sommes, l’expérience a été satisfaisante, nourrissante et heureuse.

Le moment où nous avons rencontré ces patientes dans leur parcours de soin a été d’une importance, pour elles, que nous n’avions pas imaginée.

Ce moment précis de la fin du traitement médical après tant de rendez-vous, d’examens et d’interventions est un moment de grande fragilité pour ces femmes. La plupart nous ont fait part de leur désarroi voire de leur sentiment d’être abandonnée par leurs médecins alors qu’elles subissent toujours violemment les effets secondaires des traitements et de la mastectomie. Au moment où la lutte pour la survie s’efface et où l’accompagnement médical se termine, remontent les peurs profondes et l’insupportable de ne plus se reconnaître comme la personne qu’on était. Ce qui n’était pas un sujet pendant le combat contre la maladie submerge les femmes quand le danger s’éloigne. Elles se sentent alors démunies et seules. 

Protocole de séances shiatsu et cancer du sein

Le protocole en 5 séances s’est révélé particulièrement juste, pour les 2 groupes de femmes. Lors de la première séance les patientes sont arrivées très stressées par ce rendez-vous dans un nouvel endroit. Nous n’avions pas imaginé la très grande difficulté d’adaptation (pourtant logique*) de ces femmes éprouvées par la maladie. Cette séance leur a servi à prendre leurs marques et à nous accorder leur confiance. 

A la troisième séance, la moitié des femmes nous a parlé de la fin prochaine des séances avec l’angoisse de se retrouver à nouveau seules, avec leurs douleurs et face à leur corps voire leur vie qu’elles ne reconnaissent pas.

Cinq séances étaient le bon rythme pour laisser le temps de la rencontre, de l’installation du travail énergétique et de la séparation. 

La répartition des séances a toutefois été différente entre les deux groupes. Le premier groupe a bénéficié d’un parcours très progressif : séance 1, une semaine après séance 2, deux semaines après séance 3, trois semaines après séance 4, un mois après dernière séance.

Le deuxième groupe a vécu un rythme plus irrégulier en raison de vacances scolaires, jours fériés et indisponibilité du dojo. L’engagement des patientes a été moindre.

La relation praticien-patiente

Le choix, par les receveuses, de leur praticien s’est révélé très intéressant. Nous nous sommes sentis chacun la personne la plus juste pour accompagner la femme qui nous avait choisi. Que les relations soient chaleureuses ou parfois plus tendues (un bon rappel qu’on ne peut exiger d’une personne souffrante d’être agréable à chaque instant !). 

Parlant de la relation donneur-receveur, nous avons pu expérimenter l’importance du cadre. Par exemple lorsqu’une femme essaie d’obtenir notre approbation pour stopper un médicament dont elle ne tolère plus les effets secondaires ou lorsqu’elle tendrait à nous faire tenir un rôle autre que celui qui nous revient. La juste posture est la base de la relation d’aide, quelle que soit la façon dont nous sommes émotionnellement touchés. 

Les effets du shiatsu pour les patientes

Pour ce qui concerne les effets du shiatsu, nous avons vu chaque femme évoluer. Pour toutes, nous avons observé combien est puissante la reconnaissance de l’être, la considération profonde qui se vit par la magie d’un toucher éminent bienveillant. Pour ces femmes mutilées dans leur corps, atteintes dans leur féminité, et souffrant de douleurs et d’angoisses, le toucher du shiatsu a été profondément réparant, unifiant et apaisant.

Certaines femmes ont évolué dans leur acceptation des changements provoqués par la maladie ou leur relation à la reconstruction chirurgique mammaire. Parfois, souvent sans qu’elles le réalisent, nous avons vu leur réaction à l’imprévu s’améliorer, leur carapace fondre, leur fatigue s’amenuiser, leur visage s’adoucir, leur sourire plus présent…

En terme de Médecine Traditionnelle Chinoise, nous avons souvent trouvé un fort déséquilibre de la Vésicule Biliaire (jitsu), de la Rate et du Rein (kyo). Mais globalement nous avons surtout observé un débalancement notable de TOUS les méridiens, à l’image des multiples symptômes et inconforts exprimés par les femmes : grande fatigue, angoisse, grande peur, stress, ménopause, ballonnements et problèmes digestifs, déprime, problèmes de sommeil, douleurs musculaires et articulaires, mobilité réduite, impossibilité de faire face à l’inconnu, difficultés à gérer les émotions, sentiment d’incomplétude, d’abandon…

Témoignages des patientes

« Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous faites. Moi on m’a coupée, on m’a séparée de mon corps. Quand les portes du métro se ferment, j’ai peur. Et là dans le toucher, dans cette proposition, je me retrouve, je fais confiance.»

« Quand je rentre chez moi après t’avoir vue je dors… et c’est bien comme ça pour moi. »    

« Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout ça je ne l’ai jamais dit à personne. J’ai peur. »

« Vous ne vous rendez pas compte à quel point c’est précieux, ce que vous faites. »

« Je suis moins angoissée, moins stressée. Tout le monde à la maison voit la différence. Je dors mieux. J’ai moins de douleurs. Ça me fait beaucoup de bien. »

« J’ai l’impression qu’avec vos doigts vous reconnaissez ma douleur. »

Ne pas s’arrêter en si bon chemin

Suite à cette première expérimentation sur les effets du shiatsu comme soin de support post-opératoire pour les patientes atteintes d’un cancer du sein, nous sommes heureuses d’annoncer le début d’une étude plus poussée sur les effets du shiatsu en support de traitement contre le cancer sur toutes les phases de la maladie.

Un an après l’expérience que je viens de décrire, le comité de pilotage s’est réuni pour échanger sur les retombées d’Octobre Rose et du Colloque interne de l’hôpital où notre projet « le shiatsu comme soin de support dans le traitement du cancer » a été présenté. 

Motivés par les très bons retours, les membres de l’équipe ont réfléchi aux moyens de reconduire et développer le projet : la représentante du laboratoire Daichi Sankyo a proposé de relancer le laboratoire pour demander un refinancement du projet, et l’infirmière coordinatrice du projet a trouvé un appel d’offres d’une mutuelle pour les soins de support en cancérologie. 

Lors de la réunion suivante, le Copil a eu l’excellente surprise d’accueillir la directrice des projets de recherche (service de l’hôpital et de l’Université La Sorbonne par l’APHP) pour lui présenter la démarche et les résultats de l’étude.
Nous sommes très fiers que le potentiel de notre projet ait été reconnu, débouchant sur le montage d’un dossier officiel de recherche sur les effets du shiatsu comme soin de support pour le cancer du sein ! Un projet au long cours dont le temps de mise en place est estimé entre 9 mois et un an.


Autrice

Barbara Anémone Aubry
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