Interview Hervé Ligot : la rigueur et le cœur

17 Avr, 2020
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Hervé Ligot est l’un de ces passionnés qui s’engage à fond. A fond dans le judo, à fond dans la protection des personnes, à fond dans le shiatsu et le do-in, à fond dans leur développement et leur promotion à travers les instances fédérales en France. Il est l’un des professeurs qui ont aidés à donner un élan, un cadre et une dynamique au shiatsu français dans le but de sa reconnaissance. Découverte d’un homme engagé.


Ivan Bel : Bonjour Hervé. Je suis très heureux de vous recevoir et de faire cette interview, car plus d’une fois j’ai entendu votre nom résonner en France et en Belgique.

Hervé Ligot : Mais je te retourne le compliment mon cher Ivan, j’ai également entendu parler de toi et j’ai plus d’une fois constaté que ta vision du shiatsu était souvent proche de la mienne et parfois différente, donc par essence, intéressante !

Pourriez-vous me raconter d’où vous venez et quelle sorte d’enfant vous étiez ?

Je suis issu d’une famille de paysans percherons. Mes parents dirigeaient une petite exploitation agricole avec des cultures et un peu d’élevage. Je dois dire qu’ont étaient pas riches mais que je n’ai jamais manqué de rien, ma Rate a été bien nourrie ! Sur le plan alimentaire bien sûr mais aussi sur les plans affectifs et culturels. Une enfance heureuse donc, avec comme cadre, le bon sens paysan et des principes d’éducation pas très stricts. On me laissait expérimenter – parfois à mes dépens -, cela m’a permis de m’exprimer pleinement et surtout d’être en capacité à faire mes (des) choix très tôt et à les assumer. Par exemple, j’ai commencé le judo en cachette de mes parents avec un vieux judogi de mon grand frère parti vivre sa vie hors de la maison, à Paris, jusqu’au jour où, après plusieurs entraînements, il a bien fallu laver ce keikogi – il ne sentait vraiment pas bon ! – et donc avouer que j’avais contrefait la signature de mes parents pour prendre ma première licence de judo. Ma mère a eu une réaction toute simple (du Madeleine pur jus ! C’était son prénom) « Tu verras bien, si tu te casses un bras… tu ne viendras pas… » Ma mère n’était pas une personne dure mais aimante et avait simplement peur pour son fils, peur du judo, qu’elle ne connaissait pas !

Au cours de judo en 1975. A gauche la ceinture noire est le professeur Mr Billardelle et juste après à sa droite Hervé Ligot.

J’étais un enfant timoré, j’adorais le sport et…la lecture à tel point que plongé dans un bouquin, j’en oubliai de signaler un visiteur venu voir mon père ou ma mère lorsqu’ils étaient absents. Je m’intéressais peu aux travaux de la ferme et je passais tous mes étés avec un copain à faire des cabanes dans lesquelles on refaisait le monde, accompagné quelquefois d’une petite voisine qui venait chercher du lait à la ferme. Le bon temps comme on dit !

Quelles ont été vos études et votre premier métier ?

Paradoxalement, je n’ai jamais passé le bac et en revanche, à travers mes études de prof de judo, j’ai acquis le BEES (NDR : Brevet d’Etat d’Educateur Sportif) 1er degré à 20 ans ; puis le 2ème degré, un diplôme de niveau licence. Auparavant, j’ai eu plusieurs postes d’ouvrier sur les chantiers de travaux publics et un poste en usine aussi, ces quatre années entre l’abandon de l’école et mes débuts d’enseignant de judo ont été très formatrices pour moi. J’étais au contact de la réalité et je pense que leur impact sur ma vie future a été et reste plus important qu’on ne pourrait l’imaginer !

Je sais que vous avez été un grand pratiquant de judo ju-jutsu, puis un entraineur de talent puisque vous avez même eu parmi vos élèves un vice-champion du monde. Racontez-nous ça.

J’ai enseigné très tôt le judo et mené de front cet enseignement avec ma propre carrière de compétiteur. Cette dernière, bien que prenante et plaisante, ne me permit pas d’atteindre le plus haut niveau si ce n’est par l’obtention des dan (NRD : grades de ceinture noire) tout au long des années de pratique. Cependant, j’ai été reconnu, c’est vrai, comme un enseignant de bonne qualité technique et pédagogique, cela n’aurait sûrement pas suffit à mon bonheur si dans les faits, je n’avais pas eu de résultats en ce domaine. Mes élèves m’ont plus d’une fois comblé par leur abnégation à l’entraînement, par leurs résultats bien sûr mais aussi par la relation forte établie entre avec chacun d’entre eux.

Hervé Ligot (à droite, cette fois il est le professeur) et son cours pour enfants, 1985.

J’ai, parmi mes anciens élèves, des références du monde du judo, telles que Sylvain FRICHE, Laurence HEUZE (HILDEVERT), Luc GAROT, Eric LEROY, tous professeurs de judo reconnus et appréciés qui dirigent des clubs plus ou moins grands ou prestigieux. Bien sûr, je manquerais de discernement si je ne citais pas LA référence de choix : Daniel FERNANDES qui fût vice-champion du monde 2003 à Tokyo et nommé tout récemment entraineur des équipes de France masculines de Judo. Pour être honnête, Daniel n’était déjà plus sous ma coupe à cette époque mais s’entraînait à l’Insep.

On reconnaît les grands à leur expertise bien sûr mais aussi à leur simplicité, leur gentillesse, leur disponibilité …Daniel possède tout cela !

A titre personnel qu’est-ce que le judo vous a enseigné/apporté ?

Le judo (avec le rugby) fut ma première passion. Il m’a appris le respect, la discipline, l’abnégation dans le travail, à apprécier la belle technique. Lors de ma première inscription, mon professeur Robert BILLARDELLE, me fit débuter directement chez les adultes. J’avais seulement 13 ans (rires)… mais j’étais assez grand pour mon âge. Je me souviens qu’à chaque technique demandant à passer sous le centre de gravité de mon partenaire, je tombais à genoux car je n’avais pas assez de force dans les jambes ! J’ai raté deux fois ma ceinture jaune, passé les deux premières années à chuter, tous les camarades de cours étaient plus forts que moi et j’ai dû puiser dans mon mental pour ne pas abandonner, persévérer, et progressivement prendre le dessus sur un, puis deux, puis la majorité des partenaires d’entraînement. Sept ans après, suite à une formation à l’école de judo d’Orléans (centre très réputé), je reprenais le club en tant que professeur ! Je remercie mon prof et tous ces partenaires qui m’ont permis de m’élever, et à travers cela, me forger et me préparer à ma vie d’homme, une sacrée école de vie le judo !

Le judo m’a appris la constance dans l’effort, à me relever après chaque chute et je me souviens de ce que m’avait dit à l’époque une ceinture noire du club : « le judo, c’est dix pour cent d’inspiration et quatre-vingt-dix pour cent de transpiration ! »

Avec Laurence Hildevert, qualifiée pour les championnats de France

Le judo est reconnu comme une discipline éminemment éducative, formatrice, exigeante aussi, avec un code éthique et des valeurs humaines très présentes. Je pense que sa pratique comme celle du sport en général contribue à former les jeunes, à maintenir une cohésion intergénérationnelle, à aiguiser les capacités à affronter toutes les étapes et les épreuves de la vie.

Vous avez eu la chance de faire partie de la toute dernière fournée de professeur de judo à avoir été formé seifuku et kuatsu. Pouvez-vous nous expliquer en quoi ça consiste ?

Oui, c’est exact, dans ma formation à l’école de judo d’Orléans, nous avons été sensibilisés à ces techniques fort anciennes mais réellement efficaces. Les principales concernaient la réanimation suite à des strangulations, à des déblocages du diaphragme lors de chutes à plat dos, à la réduction des maux de tête, aux techniques de percussions pour faire redescendre un testicule remonté, voire à une réduction d’une luxation d’un doigt… J’ai eu, dans ma carrière d’enseignant, l’occasion de les mettre en pratique à de nombreuses reprises avec succès, notamment en ce qui concerne les étranglements. Il en existe trois sortes : le respiratoire, le sanguin et le nerveux. Les kuatsus sont souvent mis en œuvre suite à une strangulation sanguine, c’est-à-dire une compression des carotides et donc le cerveau n’est plus correctement irrigué par le sang. Ils sont particuliers dans le sens où ils ne sont pas ou peu douloureux et donc amène le judoka à résister jusqu’au bout et finalement perdre connaissance sans s’en rendre compte ! A l’heure actuelle, je précise qu’il n’est plus question d’utiliser ces techniques et que les professeurs de judo sont formés aux techniques de secourisme.

Equipe de judo des seniors au club de Nogent le Retrou

Cette vie passionnante de judoka n’est pas tout, car vous avez aussi été un policier de haut niveau en travaillant au GPPN[i] pendant dix ans. Ce n’est pas tous les jours que l’on croise un praticien de shiatsu ancien officier de sécurité dans un poste à risque. Pouvez-vous nous raconter en quoi cela consistait et ce qui est ressorti de cette expérience professionnelle ?

Ecoute, je n’ai jamais vraiment eu de plan de carrière et ce sont toujours les opportunités et la passion qui m’ont guidé. Ma vie de policier s’est intercalée et parfois superposée à celles de prof de judo et de shiatsu. Comme dans toute profession, il y a une formation initiale et puis ensuite les formations continues et… l’expérience de terrain. Effectivement le terrain m’a beaucoup appris, les situations très différentes les unes des autres, les V.I.P. (Very Important Personality) aussi. On devait mettre en place des dispositifs visant à les protéger dans tous les cas de figure, et en même temps faire preuve de capacité d’adaptation car dans les faits, rien n’est vraiment prévisible à cent pour cent !

Les maîtres mots étaient anticipation et réactivité et, j’en parle un peu dans mon livre sur le shiatsu. Je m’aperçois que déjà à l’époque, j’utilisais beaucoup (sans le connaître) le Boshin, l’observation pour déterminer quelles étaient les intentions, l’état d’esprit des personnes à proximité du dispositif et qui pouvaient être potentiellement dangereuses. Mon formateur me disait toujours, regarde bien les yeux pour percevoir l’intention et les mains pour percevoir l’action ou son imminence.

Bien sûr, dans ce type de profession, la notion de stress est présente mais comme toujours, elle est positive, mobilisatrice, à condition qu’elle soit à un niveau acceptable. L’entrainement, les mises en situations, la cohésion des membres de l’équipe sont là pour le gérer au mieux ! En ce qui concerne la dangerosité réelle, il faut bien dire et je pense que statistiquement, un couvreur, un élagueur d’arbres, ou un livreur de pizza en scooter à Paris ont tout autant voire plus de risques pour leur intégrité physique qu’un officier de protection rapprochée.

Puisque vous parlez du shiatsu allons au cœur du sujet. Comment avez-vous découvert cette technique japonaise et pourquoi avoir choisi de l’étudier à partir de 1998 ?

Ma venue au shiatsu est très liée à la pratique du judo (bien antérieure), discipline sportive qui nécessite particulièrement l’entretien de sa santé et des soins.

J’ai toujours été intéressé par les disciplines énergétiques et de prévention-santé, notamment et depuis longtemps, par l’ostéopathie. François COURTY, un ami désormais à la retraite, me suivait régulièrement à l’époque. J’étais intrigué par son approche efficace et très globale, j’ai d’ailleurs toujours considéré cet ostéopathe comme un exemple à suivre et c’est tout naturellement vers lui que je me suis tourné lorsque j’ai banalement découvert le shiatsu dans un livre à la Fnac-Montparnasse. Le hasard est parfois incroyable, le frère de François était praticien de shiatsu et il en avait donc la meilleure opinion. Il n’en fallait pas plus pour me décider à franchir le pas et entamer illico les études de shiatsu, d’autant plus que qu’avais constaté que le Japon est le berceau commun du judo et du shiatsu. Pour moi c’était comme un signe : deux disciplines qui m’apparaissaient comme indissociables, presque complémentaires…

J’exigeais, par la pratique du judo, beaucoup de ma personne mais j’aspirais aussi, par le shiatsu, à mieux me comprendre et prendre directement soin de moi, et plus tard…des autres ! Finalement, dans les deux disciplines, on doit créer un pôle, un centre fort et on se trouve relié aux autres.

Hervé Ligot dans son cabinet privé.

Qui ont été vos professeurs ?

J’ai eu la chance d’avoir successivement, lors de ma formation initiale, deux professeurs très différents l’un de l’autre. Le premier, Claude DIDIER, figure emblématique de la FFST, m’a sans nul doute communiqué son enthousiasme à travers un enseignement oral très imagé, dynamique, très convivial et un plaidoyer permanent en faveur du shiatsu, de son développement, de sa place dans le monde occidental. Le deuxième, Mario DUARTE, était à l’opposé du premier. Beaucoup plus yin, il enseignait « à la japonaise » : je démontre, vous faites, je parle peu, j’explique peu, l’expérience, l’expérimental comme credo… cela m’a beaucoup plu car contrairement à certains autres élèves, je n’étais pas déstabilisé quand on me conseillait de faire, refaire et encore de refaire, de ressentir, de lâcher le mental, d’accepter de rester sans réponse immédiate à tous mes questionnements. J’avais déjà eu affaire à ce discours et à cette façon d’enseigner lors de mes nombreux stages suivis avec des experts japonais en judo !

Je dois dire que la complémentarité de ces deux enseignants a été pour moi d’une extrême richesse. Au-delà de leurs qualités pédagogiques et de leurs connaissances pratiques et théoriques, ces deux hommes ont été et sont demeurés pour moi des exemples. Leur humanité et leur comportement m’ont montré la voie, le DO, si chère à ma recherche dans les arts martiaux.

Au premier plan Claude Didier, au second plan Hervé Ligot. Claude Didier a toujours été sur la double voie du Judo et du Shiatsu. Il fonde la FFST en 1994 avec sa compagne Arlette Joachimsmann. Auteur de nombreux articles pour les médias, il a défendu et fait connaître le Shiatsu plus qu’aucun autre auprès des autorités françaises. Il s’est aujourd’hui retiré à la campagne mais suit toujours les évolutions du Shiatsu français.

Quels souvenirs gardez-vous de ces années en tant qu’étudiant ?

Je garde d’excellents souvenirs, de mes anciens camarades de promotion bien sûr. Je me souviens des pots qu’on allait prendre à l’issue de la formation et des pauses déjeuner pendant lesquelles l’enthousiasme des uns contrastait beaucoup avec les incertitudes et quelquefois les découragements passagers des autres et puis au final, nos chers enseignants arrivaient toujours à nous amener à reprendre notre quête, sentir, ressentir, communiquer, comprendre, s’étonner, prendre du plaisir, respirer, avoir confiance… et progresser dans la Voie du shiatsu. Le chemin était, comme toujours, plus beau et passionnant que le but !

Je me souviens aussi que, travaillant en parallèle de mes études de shiatsu, je devais littéralement courir pour être à l’heure aux cours ou bien souvent j’arrivai en état de stress, avec le souffle court, en sueur. Les premiers moments du cours consistait pour moi à stabiliser cet émotionnel chahuté tout autant par cette débauche d’efforts physiques comme par l’enthousiasme et la curiosité engendrées par l’excitation de nouvelles découvertes !

Après tout s’enchaine assez vite finalement. Vous êtes diplômé praticien FFST en 2004, puis formateur FFST en 2006 et vous fondez votre école à Clairefontaine dans la foulée. Qu’est-ce qui vous a semblé difficile dans le fait d’enseigner cette matière ?

J’étais à la fois novice dans l’enseignement du shiatsu et expérimenté dans l’enseignement en général (judo pour les compétiteurs, les enfants, les personnes en situation de handicap, les activités sportives, le tir, les techniques d’intervention…). Je bénéficiais donc de transferts possibles en termes de pédagogie et était d’emblée relativement à l’aise dans l’enseignement du shiatsu. De plus, toutes les habilités motrices acquises lors de mes différentes pratiques, en judo notamment, m’ont donné des bases solides concernant les postures, les déplacements, l’utilisation des leviers dans les mobilisations etc… Bien sûr, le judo et le shiatsu sont deux disciplines issues de la culture japonaise et là aussi la connaissance des particularités et des singularités de la civilisation nippone a été un plus pour moi. Les relations empreintes de respect et soumises à des codes précis, le travail et la répétition des techniques comme crédo, la vision du monde de façon globale, interreliée en ramenant l’humain à son rôle, sa place de maillon, ont été pour moi des pôles de référence.

L’école de Clairefontaine (shiatsu78) est une belle aventure. Parti de rien dans la région, il a fallu perpétuellement adapter l’enseignement à la progression et au développement de l’école, ceci est un vrai challenge pédagogique. Année après année, l’école s’est structurée et enrichie de nouveaux praticiens, puis parmi eux, deux nouvelles formatrices, Sarah BLESTEL et Nathalie LEVARDON sont venues constituer avec moi une équipe pédagogique plus forte, amenant à mon expérience une fraîcheur et de nouvelles idées, un supplément d’énergie !

La particularité de l’école réside dans son rythme hebdomadaire d’étude, nous ne fonctionnons que très peu sous forme de formation par week-end, ce qui est assez rare dans le monde du shiatsu. Les avantages sont assez nombreux, un suivi des élèves très régulier en corrélation avec la fréquence des cours, ce qui permet un soutien permanent, des relations constantes entre les élèves par le biais d’ateliers de pratique ou de suivis personnalisés dans les structures hospitalières ou para médicales. Bien sûr, le revers de la médaille est d’avoir un rayon de recrutement des élèves plus restreint et donc une école à vocation uniquement régionale. Pour ce qui concerne le style pratiqué, le Zen-Shiatsu est enseigné de façon très complète, avec l’apprentissage des extensions des méridiens et des fonctions élargies des organes, avec une ouverture sur les autres styles, ce qui pour moi est un atout dans la quête individuelle de chaque élève…et dans son devenir, sa capacité d’autonomie et d’évolution de futur praticien ! C’est ainsi que nous avons invité Okamoto sensei par exemple.

Lors du stage de 2017 à Clairefontaine avec comme invité Masanori Okamoto sensei (au centre), Dominique Chevalier (président actuel de la FFST) à gauche et Hervé Ligot à droite.

Est-ce qu’enseigner le shiatsu c’est le figer ? J’imagine que vous avez dû continuer votre apprentissage en vous ressourçant auprès de nombreuses écoles ou personnalités, non ?

Oui et non, oui car les étudiants ont besoin de pôles de connaissances techniques, théoriques fixes, fiables, afin de pouvoir évoluer avec une certaine sérénité. C’est essentiel dans les premiers mois, voire les deux premières années Il y a un côté insécurisant à ne jamais rien affirmer sur ces plans même si on sait que la vérité n’est que la vérité du moment, qu’il y a une impermanence des choses ! Ensuite, non, car dans une discipline aussi vaste, et dans l’enseignement des bases de la médecine traditionnelle chinoise, dans la connaissance du système énergétique ou tout est en perpétuel mouvement, en perpétuelle adaptation, en multiples relations, connexions, les points de vue doivent être également évolutifs. Quand ces derniers sont figés, c’est grâce à « un arrêt sur image », c’est à dire dans un contexte à la fois précis et particulier : on parle en MTC de tableau pathologique. La vérité est donc liée à un instant T. Il faut donc prendre beaucoup de recul pour à la fois s’appuyer sur des connaissances et en même temps sur son intuition et le ressenti d’un état énergétique pour en faire le rapprochement.

Quant à la pratique du shiatsu, la connaissance figée de techniques précises sous forme de katas, est nécessaire pour acquérir l’efficacité et permettre au mental d’être au repos. Cette qualité de présence laisse la place à une immédiateté dans les ressentis des états énergétiques et donc une capacité à traiter les déséquilibres en temps réel par un ajustement permanent du travail shiatsu sur les structures, sur les méridiens et les points qui les nourrissent (fonction yin) ou les conduisent (fonction yang)… La correction HO SHA sur les déséquilibres de type KYO et JITSU !

Maître Shizuto MASUNAGA évoquait bien que le fait de ressentir et traiter se confondait dans ce ballet à deux qu’est une séance de shiatsu quand il disait : « le diagnostic est le traitement ».

Dans la transmission de votre shiatsu, quels sont les points sur lesquels vous insistez ?

Plutôt que de développer, je préfère citer quelques idées directrices qui me viennent à l’esprit :

  • Bien qu’importante et pour moi indispensable, la théorie n’est qu’au service de la pratique
  • L’« être » est essentiel pour acquérir ou développer la sensibilité (du Cœur et tactile)
  • Le « faire » est essentiel pour acquérir la technique et descendre le mental
  • L’enthousiasme et l’émerveillement sont de belles qualités, la curiosité un joli défaut !

Trouvez-vous qu’il existe une relation/synergie entre la pratique des arts martiaux et celles du shiatsu ? Qu’est-ce que l’un apporte à l’autre ?

Oui, incontestablement ! Les deux demandent à comprendre les particularités du mode de pensée oriental ; les deux demandent à maîtriser son énergie et à l’utiliser de façon efficace. Il y a par ailleurs des valeurs communes de respect, de confiance, d’exigence dans le travail, dans la précision du geste, etc. Et puis la nécessité de la présence du(es) partenaire(s) (Uke) comme du receveur (Jusha) de qui on apprend, le tout sous l’œil exercé d’un professeur, d’un maître. Il apparaît que la pratique du shiatsu ou d’un art martial favorise l’apprentissage de l’autre par des phénomènes de transfert liés à une bonne respiration, un alignement vertical correct, une écoute réelle, qui obligent à l’humilité face aux difficultés rencontrées, à l’acceptation de ne pas tout comprendre tout de suite et à la constance de rester sur ce chemin, sur cette voie. Le shiatsu comme les arts martiaux apportent, avec le temps, une philosophie de vie. Ce sont des disciplines de vérité. La sincérité y est si importante, on ne peut pas y tricher sauf à se mentir à soi-même…

Dans les années qui suivirent, vous vous êtes largement impliqué dans la FFST. Qu’avez-vous fait et pourquoi cet engagement ?

La FFST a vu le jour en 1994. Bien sûr il y a eu du shiatsu en France avant cette date, à partir des années 1970[ii]. Mais ce qui m’a beaucoup plu dans cette fédération, c’est le fait que pour la première fois, il y avait une envie, une recherche de réunir (fédérer) tous les pratiquants de tous les styles dans une même organisation structurée dans le double but de développer et de faire reconnaître le shiatsu. Depuis, un grand nombre de personnes formées ou adhérentes un moment à la FFST ont créé d’autres structures qui se sont développées et ont occupé le paysage du shiatsu Français. On peut voir cela comme un enrichissement, une diversité, ou bien comme un éclatement, un défaut d’unité. Toujours est-il que je suis resté fidèle à la FFST et m’y suis engagé pleinement, en tant que membre, puis au comité pédagogique et finalement à la tête en tant que vice-président puis président. Au final, nous avons réussi à mettre en place quelques belles choses comme les Journées Nationales du Shiatsu (JNS), siéger au GETCOP, élargir la base des mutuelles complémentaires qui prennent en charge le shiatsu, maintenir un programme de haut niveau et des examens de praticien fiables et exigeants. Il reste beaucoup de travail, je fais confiance à l’équipe actuelle sous la présidence de mon collègue et ami Dominique Chevalier pour mener à bien les projets !

En pleine assemblée générale de la FFST. De droite à gauche, Hervé Ligot (alors vice-président), Jean-Luc Marchand (président à partir de 2013) et Patrick Luong (alors secrétaire).

J’en profite d’ailleurs pour faire un petit clin d’œil aux dirigeants et adhérents de l’UFPST, du SPS et des autres structures représentatives pour leur souhaiter le meilleur dans leur quête collective et individuelle du shiatsu, puisse le futur nous donner l’occasion de plus nous retrouver, pour aller ensemble vers l’essentiel.

Parlez-nous du GETCOP. Que fait ce groupe ?

Le GETCOP (NDR : Groupe d’Evaluation des Thérapies Complémentaires Personnalisées) est une organisation créée par des médecins en 2016, ayant pour but d’évaluer les différentes disciplines existantes (dont le shiatsu fait partie) pouvant prétendre à une efficacité plus ou moins avérée sur la bonne santé. Ces dernières doivent d’abord être membre, donc reconnues par le GETCOP au vu d’une demande étayée par la constitution d’un dossier, pour ensuite être évaluée en contribuant par la participation à des réunions en commission de travail, et la production et l’envoi de documents tendant à prouver une efficacité de la discipline en tant que thérapie complémentaire du système médical. Pour l’instant, à ma connaissance, le shiatsu siège en commission et est toujours en phase d’évaluation. C’est évidemment intéressant. Par exemple j’ai pour ma part trois conventions en cours avec des établissements hospitaliers dans lesquels un ou une élève intervient dans une prise en charge complémentaire dans trois domaines différents : dans une unité de traitement de la douleur à l’hôpital de Rambouillet, dans l’accompagnement en soins palliatifs à l’hôpital d’Houdan et dans la prise en charge de personnes âgées dépendantes à l’hôpital de Chevreuse. Les résultats obtenus pourraient (pourront) être possiblement de nature à aider à la reconnaissance de notre discipline par les instances médicales. La route semble encore longue mais l’ouverture est déjà encourageante !

Aujourd’hui non seulement vous êtes un professeur renommé en shiatsu, mais vous explorez également le do-in de manière approfondie. Plus qu’une simple méthode d’échauffement, qu’est-ce que le do-in en fin de compte ?

Oui le Do-In est très complémentaire du shiatsu, son but essentiel étant d’optimiser la santé et de prévenir les déséquilibres énergétiques. On pourrait comparer, si on se réfère au domaine automobile, le Do-In à une sorte d’entretien au jour le jour, qui alterne avec les interventions shiatsu qui seraient plutôt des révisions du mécanicien ou carrément des réparations coûteuses.

Pourquoi le Do-In et pas plutôt le Qi-gong, le Tai-Chi-Chuan ou le Yoga ? Ce sont évidemment toutes des disciplines dignes d’intérêt et efficaces elles aussi ! Je pense que l’avantage du Do-In réside surtout dans l’accessibilité de ses techniques et l’adaptation aux différents publics, pratiquer le Do-In est plus simple, certainement moins codifié et donc peut convenir au plus grand nombre. Et puis, sa proximité avec le shiatsu et son utilisation aux débuts des cours ou avant d’effectuer une séance est déjà une habitude pour beaucoup de pratiquants de shiatsu.

Le Do-In est une prise en charge personnelle de sa circulation énergétique par des exercices très divers allant des mobilisations, étirements, travail sur certains points d’acupuncture jusqu’à des exercices de visualisation, de méditation, de respiration. Sa pratique régulière favorise une prise de conscience de ses ressentis et amène doucement à plus de responsabilité vis à vis de sa santé, en donnant les clés d’une connaissance de son propre fonctionnement et des petits dérèglements sur lesquels chacun peut agir à son niveau.

Le Do-In est une discipline intéressante déjà pratiquée depuis longtemps et par de nombreuses écoles de shiatsu et même hors shiatsu, nous n’avons rien inventé. Cependant, elle manquait de structure et de bases techniques uniformisées. C’est ce qu’on a fait à la FFST en formant et harmonisant des primo formateurs Do-In répartis géographiquement sur tout le territoire et chargés de former des animateurs. Ce certificat d’animateur Do-In permet de diriger des ateliers grand public ou spécialisés (femme, personnes âgées, sportifs, handicaps, …) au sein d’associations, d’écoles, de structures médicales ou paramédicales (EPHAD) ou encore en entreprise et donc de toucher le plus grand nombre. Ce dossier mené par Valérie CAPEL[iii] et moi-même a débouché sur la dynamisation et le développement de la discipline Do-In avec des garanties sur les contenus techniques et pédagogiques de qualité, le tout avec le label FFST. Nous avons voulu créer une véritable activité, aller vers une nouvelle profession autour du Do-In. Actuellement, nous en sommes à la troisième promotion de formation.

En 2017 vous publiez « « Le grand livre du Shiatsu et du Do-in » qui a eu un beau succès et le voilà qui ressort dans une seconde édition au mois de mars. Quels sont les nouveautés que vous y avez fait ?

Oui, je suis heureux de cela, effectivement il marche bien comme on dit et d’après les retours que j’ai eus, il plaît aussi beaucoup aux personnes étrangères au shiatsu mais qui s’intéressent à l’énergétique, à la prévention-santé ou au développement personnel, ce qui en fait un bon ambassadeur du shiatsu.

Les éditions Leduc m’ont permis de faire « le grand écart » en écrivant un livre à la fois relativement grand public mais aussi en y mettant beaucoup de mon expérience. J’ai pu exprimer ma vision du shiatsu, avec des prises de position ou des accents sur tel ou tel élément technique ou théorique. J’ai voulu toucher et sensibiliser les étudiants en shiatsu mais aussi donner aux praticiens un éclairage personnel, notamment en ce qui concerne l’importance des paramètres chronologiques d’une séance ou le fait de mieux percevoir « la réalité » d’une personne à travers la connaissance fine de son champ émotionnel. Sur un plan purement technique, je suis un adepte des mobilisations qui font la part belle aux étirements et aux appuis palmaires. Ces derniers sont à la fois très pourvoyeurs de ressentis des équilibres structurels et énergétiques du receveur, et également très « maternants » de par l’étendue de la surface de contact qu’ils procurent.

L’essentiel pour moi est que ce livre soit facile à lire, qu’il coule doucement, c’est pourquoi, j’y ai glissé quelques anecdotes très personnelles et parfois teintées d’une pointe d’humour, qui éclairent le cheminement personnel que j’ai suivi.[iv]

Au jour d’aujourd’hui, quel bilan feriez-vous de votre parcours en shiatsu ?

Un bilan est toujours intermédiaire ou alors c’est très mauvais signe car c’est le dernier ! (rires) Je ne pense pas être en fin de vie, je vous rassure mais j’aime à prendre cet exemple de Jean GABIN qui disait au crépuscule de sa vie dans sa très belle chanson : «maintenant, je sais, je sais qu’on ne sait jamais ! » ce qui démontre que dans le shiatsu comme dans bien d’autres sphères, la découverte alimente le questionnement. Les doutes et les apprentissages ouvrent de nouvelles perspectives. Le shiatsu est tellement vaste, et plus encore quand on l’inscrit dans une approche pluridisciplinaire, que le pratiquer, l’enseigner nous nourrit. C’est à la fois vertigineux et jouissif de relier tous les pôles de connaissances et en même temps de pratiquer sans attente particulière, dans une présence absolue !

Pratiquer dans une présence absolue.

Je pense que je suis à une période ou la recherche de cohérence, de pertinence de vie côtoie la pratique et le retour aux fondamentaux, à la pureté des techniques, à la compréhension profonde des principes de la médecine chinoise. J’ai la sensation que, à l’image de ce qu’on sait de l’univers, je ne connais qu’une infime partie de ce qu’il reste à découvrir… et c’est tant mieux !

Enfin, cela suffit à mon bonheur. Actuellement, je suis heureux quand un de mes élèves finalise son mémoire, fier et conscient du chemin de vie qu’il vient de parcourir, de l’ouverture et des changements que cela a pu créer chez lui. Heureux aussi quand j’accompagne la pratique d’un élève dans une recherche posturale et que je vois son plaisir naître suite à l’exécution technique rendue plus facile, plus belle aussi.

Le Zen-Shiatsu m’apporte une certaine reconnaissance, une aisance plus importante sur le plan matériel, mais la vérité est qu’il m’a surtout fait évoluer dans mon cheminement, dans mon développement personnel, cela grâce au travail, aux échanges avec mes camarades de promotion, avec mes receveurs, avec mes élèves, au contact des différents maîtres… J’ai à présent envie de simplicité dans ma vie, le shiatsu n’y échappe pas.

Attention question piège : selon vous, quelles sont les différences entre un étudiant, un professeur et un maître de shiatsu ?

Ils sont tous sur le même chemin. Je dirais qu’ils sont unis dans la même quête de la pratique du shiatsu, la même finalité, reliés par le shiatsu mais aussi séparé par leur unicité, leur propre pôle existentiel.

Il y a une forme d’interdépendance, de relativité entre eux. L’un n’existe que par rapport aux autres, chacun dans son appellation, son rôle, et en cela, ils expriment des besoins et des devoirs. Dans tous les cas, on apprend de l’autre, en l’écoutant, en le regardant, de par ses interrogations, ses questionnements, ses expressions alimentées par les apprentissages, les expériences et les vécus. Je dirais pour répondre plus directement à la question que – à l’image du judo – dès que l’on progresse, on devient immédiatement professeur en quelque sorte, sans oublier que le chemin continue… Alors ou se trouve le maître ? N’y a-t-il plus rien à gravir ?

J’ai souvent coutume de dire à mes élèves qui vont de façon imminente se présenter au certificat de praticien que la meilleure des choses est d’aller pratiquer avec les étudiants de 1ère année, cela est toujours enthousiasmant, rafraîchissant car ils sont dans l’envie…

J’aime beaucoup ce conseil, car c’est très vrai. Et pour eux évidemment, il faut penser à l’avenir du shiatsu. Quels sont vos espoirs et vos craintes dans ce domaine ?

Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, je suis à la fois optimiste et dubitatif. Le monde évolue, avec des progrès indéniables mais aussi avec son pendant d’individualisme, de consumérisme et de repli communautaire. Le shiatsu n’échappe pas à ces tendances. On veut souvent apprendre et se former vite, on veut « consommer » des stages de tel ou tel professeur renommé sans prendre le temps de profiter du sien, on est témoin également de guerres de clochers entre certaines écoles, certains styles ou certaines entités présidant aux destinées du shiatsu en France ou à l’étranger… Heureusement, certaines personnalités ne souscrivent pas à cette vision fermée, beaucoup d’étudiants et de praticiens prônent les échanges, la patience dans le travail, l’ouverture sur les autres et chacun de ces acteurs est vraiment, à son échelle, un guide pour notre discipline shiatsu, chacun apporte sa pierre à l’édifice en permettant le développement et la reconnaissance de notre art du toucher par le plus grand nombre ! En cela, je suis optimiste et j’ai bon espoir que la dimension « développement personnel » inhérente à une bonne formation, ne soit pas dissociée d’un apprentissage d’un shiatsu efficace et thérapeutique.

On a besoin de prendre soin ! Prendre soin de soi, des autres, de la nature. Pour y arriver, on a probablement besoin de ralentir, de se donner de l’espace, de mieux répartir son temps, son énergie, de s’écouter, de coopérer ! Un monde uniquement tourné vers la compétition et la production à grande vitesse et à grande échelle ne peut que passer à côté de l’essentiel. J’aimerai appliquer cela au shiatsu…

Merci pour ces belles paroles. Je pense qu’il n’est pas plus grand message aujourd’hui que de réapprendre à prendre le temps. Mille mercis pour ce beau moment d’échanges.

Tout le plaisir était pour moi.


Livre d’Hervé Ligot : « Le grand livre du Shiatsu et du Do-In », éditions Leduc, 2020, 2nde édition


Notes :

  • [i] GPPN : le Groupe de Protection de la Police Nationale, 135 hommes d’élite qui veille à des personnalités dites « sensibles », c’est-à-dire qui risque leur vie au service de l’Etat, comme des juges anti-terroristes par exemple.
  • [ii] En 1975 la 1ère Fédération Française de Shiatsu Traditionnel du Japon (FFSTJ) est fondée par Thierry Riesser.
  • [iii] « Do-In les points-clés 100% vitalité », Valérie Capel, aux éditions Leduc, 2018.
  • [iv] « Le grand livre du Shiatsu et du Do-in : pour harmoniser ses énergies », Hervé Ligot, aux éditions Leduc, 2017
Ivan Bel

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