Interview : Jean-Marc Weill, le passeur de passions

15 Jan, 2018
Reading Time: 9 minutes

Jean-Marc Weill se définit lui-même comme étant un simple passeur. Mais pour le connaître depuis des années, je peux dire qu’il excelle à transmettre sa passion du Shiatsu et de la médecine orientale. Enseignant polyglotte et directeur pédagogique de l’école de Shiatsu de Guyane, installé en cabinet à Paris, il parcourt le monde et l’Europe et fait une œuvre fondamentale pour le Shiatsu thérapeutique : il rend accessible la médecine chinoise pour améliorer le niveau des étudiants comme des praticiens. À cela, on peut ajouter qu’il enseigne aussi la sophrologie et qu’il est le vice-président de l’UFPST, et vous comprendrez qu’on a affaire à un personnage passionné et passionnant.

Ivan Bel : Jean-Marc, pour commencer et pour faire simple, d’où venez-vous ?

Jean-Marc Weill : Je viens d’une famille alsacienne, d’une famille qui est passée plusieurs fois d’une nationalité à une autre entre la Prusse, l’Allemagne et la France, pour finir dans le Jura proche de la Suisse. Dans ma famille, il y a une tradition : on est médecin de père en fils, y compris mes oncles, mes grands-pères – ah non, j’avais un arrière-grand-père rabbin –bref tous, sauf moi. Au moment de faire mon choix, je n’ai pas suivi la voie familiale.

Vous aviez déjà opté pour le Shiatsu à cette époque ?

Non pas du tout. J’ai eu une vie variée. J’ai notamment été danseur pendant une 15aine d’années, puis vers 19 ans j’ai repris des études à la fac, et j’ai fait une formation de finance et de droit des affaires jusqu’au DESS (à Paris-Dauphine). Puis j’ai travaillé dans la gestion culturelle au Ministère de la Culture, pendant les années Jack Lang, puis j’ai créé une société de communication autour des affaires culturelles. J’ai mis fin à cette activité en 2000, mais j’avais déjà entamé tout un chemin autour du corps, notamment en Sophrologie et en Shiatsu. Je pense que le virus familial qui consiste à aider les autres me taraudait.

Comment avez-vous rencontré le Shiatsu et qui fut votre premier professeur ?

Dans les années 80, quand j’étais danseur, j’ai fait des tournées au Japon et c’est là que j’ai reçu mes premiers Shiatsu. Quand j’ai quitté le monde du business comme on dit, j’ai eu ce souvenir qui m’est revenu. J’ai commencé ma formation par une école dirigée par un monsieur qui s’appelle André Nahum, école intéressante, car il y avait cours tous les jours de la semaine, tout au long de l’année sauf le jour de l’an. Et on avait la possibilité de recommencer tous les cours qu’on voulait. C’était bien, mais à la fin je me suis rendu compte que j’avais plein d’acquis intellectuels, mais en Shiatsu je ne savais pas faire grand-chose.

C’est le constat que l’on fait plus ou moins tous à la fin du premier cursus en général. Si on en est conscient, on repart dans les études. Et à partir de ce constat donc, qu’avez-vous fait ?

À partir de là je ne savais tellement rien faire, à part travailler d’une manière très protocolaire, que je me sentais prisonnier de protocoles pré établis. On avait un protocole pour le mal de tête, un autre pour le mal de dos et ainsi de suite. Mais je voulais surtout comprendre ce que je faisais, alors j’ai suivi le cursus d’une école d’acupuncture (Institut du Quimetao), avec un médecin chinois de Paris, le Dr Jian, qui est surtout connu pour ses cours de Qi gong et de Taïchi, car il est formateur de formateurs. Là, j’ai suivi les trois années de formation plein temps près de Montparnasse, avec comme optique non pas de faire de l’acupuncture –je n’en ai d’ailleurs jamais fait – mais d’avoir des bases solides pour pratique du Shiatsu. Cela m’a beaucoup aidé et apprendre directement d’un chinois m’a beaucoup plu. J’ai appris à la chinoise (c’est-à-dire la précision et la beauté du geste avant le contenu intellectuel), surtout qu’il y avait aussi du massage tuina thérapeutique.

Selon vous, est-ce que cette base Médecine chinoise elle est indispensable pour les shiatsushi ou pas ?

Je dirais qu’il y a deux grandes catégories de personnes qui font du Shiatsu. Il y a ceux qui ont besoin de bases intellectuelles et de fondements forts avant la pratique avec les clients – dont je fais partie – et puis il y a des gens qui sont très bons en Shiatsu, qui utilisent l’intuition et les sensations et qui ne veulent pas entrer trop dans la théorie. Donc tout est bien ainsi, mais par expérience, car j’ai eu beaucoup de collègues qui appartenaient à la seconde catégorie, il y a un souvent une lassitude progressive qui apparaît, car il y a un manque de sens qui s’installe. Au final, ce type de thérapeute finit par chercher du sens à la pratique, à la technique, et le sens passe à travers un minimum de théorie de médecine orientale. Donc oui, cela fait partie de tout travail d’un shiatsushi de savoir d’où il vient et pourquoi il fait de cette manière plutôt qu’une autre.

Le Shiatsu serait donc bien une technique à la fois sensitive et intellectuelle. Comment marier les deux aspects dans la pratique quotidienne ?

Pendant la séance de Shiatsu on ne pense pas et on n’intellectualise pas, on vit la circulation du Ki : c’est un dialogue non verbal entre deux humains, une alliance sans ego. La somme des informations théoriques monte en nous et se mélange à nos sensations pour permettre un dialogue plus précis. Telle sensation, au regard des milliers d’heures de pratique, nous fait penser à tel déséquilibre : peut être que cela correspond à une réalité ou peut être pas, c’est le receveur qui nous répond.

Le côté intellectuel émerge de nouveau en fin de séance au moment de la synthèse, peu en début de séance, pour éviter de s’embarquer sur des chemins préconçus. De toutes les façons, si tout rentrait dans les cases de la théorie, ça serait si simple… mais l’être humain est complexe et cela fait tout son intérêt.

À un moment donné de votre apprentissage, vous êtes retrouvé à New York ? Pourquoi ?

Je me suis retrouvé là-bas par épisode, parce que ma deuxième école de Shiatsu fait suite à ma rencontre avec Ohashi. J’ai fait l’ensemble de sa formation grâce à lui et aux instructeurs qu’il a formés en Europe. Quant à mon tour j’ai voulu devenir instructeur, j’ai dû faire une partie de mon training avec lui à New York, car c’est là qu’il habite. Mais il est aussi souvent venu à moi lors de ses déplacements fréquents en Europe. De plus, j’ai été son traducteur en France et en Italie pendant des années. Cela m’a permis de vivre de plus près qui était Ohashi, parce que lorsqu’on est dans la proximité du Maître, cela permet un apprentissage direct et de connaître certaines bottes secrètes qui ne sont pas enseignées.

Ah ah, voilà qui est intéressant ! Pourriez-vous nous en citer quelques exemples ?

Ah, je ne vous les donnerai pas (rires), elles lui appartiennent, vous lui demanderez directement, peut être vous en donnera-t-il quelques-unes ?

Au bout du compte, cela vous fait pas mal d’années de formation tout ça !

Cela fait beaucoup d’années de formation, une dizaine, auxquelles il faut rajouter mon parcours en sophrologie. Donc oui, cela fait beaucoup, mais quel bonheur. Et puis ce n’est jamais fini, car enseigner c’est apprendre encore plus, constamment ?

Aujourd’hui que vous allez partout à travers le monde pour donner des cours, quelle tendance voyez-vous dans la pratique du Shiatsu ?

Mon constat par rapport aux dizaines et dizaines d’étudiants que je croise un peu partout c’est que les gens veulent apprendre vite, et gagner leur vie par ce biais vite aussi. Avec ce travail, cet art manuel ce n’est pas possible. Il faut bien comprendre que lorsqu’on a fini une école on est tout juste grand débutant. Après ce n’est que l’expérience au fil des années et des formations que l’on donne que l’on peut commencer à progresser.

Après il y a dans le Shiatsu deux manières de voir les choses. D’abord une voie qui est basée sur le bien-être, et pourquoi pas ! Il en faut, c’est très bien. Mais cette manière de faire reste assez superficielle, sans connaissances de base. Ce n’est pas forcément de la connaissance immédiatement utilisable dans la pratique, mais une connaissance qui se construit et résonne avec la pratique et qui revient plus tard au bon moment, quelques années plus tard, lorsqu’on se retrouve face à de vraies difficultés. Du coup la seconde voie est davantage orientée vers le thérapeutique et c’est pourquoi j’aime apporter de la matière qui va permettre aux praticiens de passer d’un stade à l’autre, d’un chemin à l’autre.

Jean-Marc, vous êtes vice-président de l’UFPST, donc de la branche thérapeutique du Shiatsu. Est-ce que cela a un sens pour vous ?

Oui, cela a un sens. Déjà le grand public n’a pas forcément une idée précise de ce qu’est le Shiatsu. Souvent il est présenté comme un massage de bien-être ce qui impliquerait que le praticien Shiatsu n’interviendrait pas dans le domaine de la santé. Pour moi, le Shiatsu participe surtout à régler des problèmes de santé, et affirmer ce discours et pouvoir le démontrer est l’un des buts qui donnent du sens à ma pratique et à mon enseignement aussi. D’où mon investissement au sein de l’UFPST.

Avant que l’on finisse cette interview, auriez-vous un message à faire passer aux lecteurs ?

Ah oui alors ! J’ai un message qui s’adresse à l’ensemble des étudiants, des collègues et des enseignants : je pense qu’il faut arrêter de comparer les styles de Shiatsu et les manières de le faire ! Il existe beaucoup de styles de Shiatsu différents. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, chacun ajoute une approche intéressante, chacun amène des techniques qui viennent et qui se complètent. Dans notre propre travail, ou parfois dans l’enseignement, il ne faut pas avoir de jugement de valeur, parce qu’on a beaucoup à apprendre de toutes les techniques, de tous les styles et de tout le monde. J’ai trop souvent entendu un enseignant ou un praticien dire que tel ou tel style n’avait aucun intérêt parce qu’ils font eux même différemment. Voilà un discours qui doit vraiment disparaître. Le Shiatsu est un art japonais, c’est vrai, mais il existe aussi dans de nombreux autres pays orientaux et tous amènent une approche, des visions différentes enrichissantes. Au Japon, où est né le Shiatsu, il y a une manière de faire et de bouger le corps, mais au Vietnam c’est différent, en Corée c’est encore autre chose, sans parler de la Chine et chaque technique apporte à l’ensemble. Donc il faut arrêter les querelles de clocher, s’ouvrir au monde, sinon la voie que nous suivons n’a aucun intérêt pour soi comme pour la famille du Shiatsu en général.

Ivan Bel

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