Interview : Ivan Bel, à la quête du Shiatsu

7 Mai, 2018
Reading Time: 23 minutes

Ivan Bel passe pour une fois de l’autre côté du micro et répond aux questions de son ami de longue date : Pierre-Emmanuel Canon. Bourlingueur, il roule sa bosse en Asie chaque année depuis 25 ans, sinisant, gros lecteur et passionné par le Shiatsu, Ivan Bel est également un insatisfait chronique : pas assez loin, pas assez profond, il poursuit constamment différentes quêtes qui passent par la thérapie Shiatsu sous toutes ses formes, l’énergétique, la méditation et les arts martiaux. Portrait d’un chercheur permanent.


-Emmanuel Canon : Bonjour Ivan, je sais que les cordes de ton arc sont très nombreuses, mais la première question que j’ai envie de te poser est : qu’est-ce qui t’a conduit jusqu’à cet art du travail corporel ?

Ivan Bel : La rencontre avec le Shiatsu remonte aux années où je vivais à Paris.  A cette époque-là, j’étais directeur informatique dans une start-up très innovante. On travaillait comme des fous 8 à 12h par jour avec le matériel de la boîte, les clients, les serveurs informatiques et l’Internet. On faisait de la formation par visioconférence en 1995, autant dire qu’on était des extra-terrestres, car aucun « chat  » vidéo n’existait alors. Un beau jour, j’ai réalisé que je ne communiquais plus qu’en code de programmation avec mes assistants. J’ai eu comme un déclic et j’ai décidé d’arrêter ce boulot pour partir m’aérer l’esprit en Asie. Au retour, j’ai fait différents boulots et j’ai commencé en parallèle des études de Shiatsu. J’avais découvert cette pratique au cours de stages d’été intensif en Aïkido. J’avais tout de suite accroché avec la technique de François Dufour, le professeur qui nous initiait pendant ce stage. Du coup, j’ai eu envie d’organiser un cours à Paris avec d’autres élèves du dojo d’Aïkido. J’avais entendu parler d’une jeune professeure qui s’appelait Françoise Bataillon [i].  On s’est entendu pour qu’elle vienne plus ou moins toutes les semaines chez moi pour donner cours à une dizaine de personnes. Mais l’expérience s’est arrêtée au bout d’un an par manque de pratiquants. Je ne retrouvais pas ce qui m’avait plu dans les stages et les autres élèves n’ont pas souhaité poursuivre non plus.

Je suis donc resté tout seul avec mon envie d’en apprendre plus.

Cela ne s’est pas arrêté là, j’imagine ?

Non, et la suite s’est enchaînée par un improbable concours de circonstances. A l’époque, je pratiquais la natation de façon régulière. Et comme j’avais attrapé une verrue à la piscine, j’ai dû prendre un rendez-vous avec une dermatologue. En discutant avec elle, elle a évoqué le fait qu’elle venait de louer un appartement à une praticienne en Shiatsu, à deux pas de chez moi ! Du coup, j’ai directement pris rendez-vous avec elle.

C’était une Hollandaise du nom de Lucy de Mooy  et qui venait d’achever sa formation dans une école en Colombie-Britannique. Ces écoles, au Canada, font partie des meilleures écoles au monde pour apprendre Shiatsu. Leur cursus est très dense, de 2000 à 3000 heures de cours en 3 ans. En plus, ces cours se font en clinique universitaire pour la partie pratique, donc à la fin des études ce sont des étudiants qui ont un gros bagage pratique et savent quoi faire de leurs mains. Au passage, j’aimerais beaucoup que cela soit le même cursus en Europe. Mais bref !

Dès le premier contact avec cette femme, j’ai été impressionné par son travail. Du coup, je lui ai tout de suite demandé si elle voulait bien me prendre comme élève.  Malheureusement, l’enseignement ne faisait pas partie de ses projets immédiats.  J’ai quand même insisté à chaque fois que j’allais la voir et finalement, elle a cédé à notre sixième rendez-vous (rires). Oui je sais, je suis têtu. Elle m’a donc pris pour me transmettre son savoir en cours particulier. J’étais obligé de travailler sur elle et ça ne lui plaisait pas vraiment d’être touchée par des mains inexpérimentées. Ce que j’ai découvert c’est qu’elle possédait également un bon niveau en karaté, aussi n’hésitait-elle pas à me corriger sévèrement quand j’étais à côté de la plaque, à grands coups de pieds (rires). Comme elle n’avait pas de programme de cours, elle a commencé par me faire répéter le kata de Namikoshi pendant une année complète. C’était fastidieux au bout d’un moment, mais au moins je le connaissais par cœur. Les deux années et demie qui ont suivi, le travail s’est axé sur les méridiens. C’est grâce à cette approche un peu improvisée que j’ai pu démarrer sur des bases très solides. D’ailleurs, quand j’ai raconté que j’avais répété ce kata pendant un an à des maîtres du Japan Shiatsu College de Tokyo, cela les a bien fait rire. Même là-bas, on n’insiste pas à ce point-là. Mais si mes bases étaient bétonnées au niveau technique, pression et posture, j’étais par contre un peu léger au niveau des acquis énergétiques. Et je ne suis d’ailleurs toujours pas satisfait de mon niveau dans ce domaine.

La vie a fait que j’ai déménagé sur Bruxelles, et là, grâce à l’introduction de Jean-Marc Dessapt [ii] – un ami de longue date et qui finissait son cursus de Shiatsu – j’ai pu suivre les enseignements de Yuichi Kawada [iii]. J’ai fait son cursus complet jusqu’au diplôme, plus une année supplémentaire. Le tout mis bout à bout, ça fait presque huit années d’études en tant qu’étudiant, ce qui n’a rien d’extraordinaire car je connais plein de personnes qui ont fait le même choix de « redoubler » leurs études. J’ai aussi suivi beaucoup de stages, notamment avec Shigeru Onoda [iv] et Wataru Ohashi [v]. Je me suis aussi formé à la médecine chinoise avec Jean-Marc Weill [vi]] qui est un puits de science en la matière, et Raphaël Piotto [vii] qui m’a amené à regarder le côté philosophique/ésotérique de la médecine chinoise. Ces deux enseignants m’ont grandement aidé à développer une vision pointue et thérapeutique du Shiatsu, ce qui m’a permis par la suite d’intégrer l’UFPST et de me rapprocher d’un autre grand maître absolument fantastique, Bernard Bouheret [viii]. Avec l’aide de toutes ces personnes, je ne manque pas d’inspiration et de matière à travailler. J’ai l’impression d’être encore est toujours un simple étudiant, ce qui est le cas d’ailleurs. Surtout quand je me compare à des géants qui m’inspirent toujours aujourd’hui, je pense notamment à Frans Copers [ix].

Quand as-tu commencé à travailler avec le Shiatsu ?

Au début de mon arrivée à Bruxelles, je donnais de temps à autre un Shiatsu, mais ce n’est que deux ans après que j’ai installé mon cabinet et démarré une véritable pratique.

Comment sont nés le réseau Biloba et l’EEM ?

Comme j’avais eu la bonne idée de prendre le nom de domaine « Shiatsu-bruxelles » pour mon site web, mon agenda s’est trouvé saturé en moins d’un an. Du coup, j’ai pu dévier le surplus des demandes vers David Gaudin, que j’avais rencontré aux stages intensifs de Shiatsu pendant l’été. Après un an, j’avais l’idée de créer un réseau plus grand qui recenserait les thérapeutes complémentaires. C’est comme ça que j’ai fondé le Réseau Biloba. Environ un an après David est venu me trouver avec le projet de création d’une école. À l’époque je donnais un cours particulier à une personne depuis un petit moment (qui avait insisté 6 fois avec que j’accepte, comme quoi…), mais je ne pensais pas encore à un cours plus grand et régulier. On en a parlé et j’ai pris la décision de m’occuper du Shiatsu, de la mise sur pied de cours structurés basés sur mes connaissances. Ce fut un énorme travail qui m’a pris 5 ans d’écriture, de lecture et de réflexion, vacances d’été comprises. Aujourd’hui je ne travaille plus dans l’école, mais la section de Shiatsu continue son bonhomme de chemin, ce qui représente mon vœu le plus cher, car je tiens vraiment à diffuser le Shiatsu au plus grand nombre.

Entre-temps, je suis devenu membre du CA de l’UFPST sous la direction inspirante de Bernard Bouheret et de Jean-Marc Weill, c’est une belle chance car je peux les côtoyer plus fréquemment. J’ai également eu l’honneur d’être très bien accueilli à l’école centrale de Shiatsu Namikoshi, le Japan Shiatsu College à Tokyo, par Namikoshi senseï [x] ainsi qu’à l’école et clinique de Irie senseï [xi] ( qui enseigne le Koho Shiatsu, littéralement « Shiatsu impérial ») .

De gauche à droite : Watanabe sensei, Ivan Bel, Kobayashi sensei, Tokyo, 2016.

Qu’est-ce que t’apporte le travail avec Bernard Bouheret ?

Alors là, on pourrait en parler pendant des heures ! Essentiellement cela m’apporte de la joie, car son Shiatsu est synonyme de joie. Quand on le reçoit, on se sent non seulement touché au plus profond, mais il fait ressortir la joie première, celle de la vie, qui est enfouie en chacun de nous. De plus, il applique une spiritualité simple et profonde qui donne sens à la pratique du Shiatsu. Je reviens d’Inde où j’ai voyagé 10 jours avec lui. Ce fut une expérience intense dans tous les sens du terme que de partager le quotidien avec lui. Avec tous les maîtres que j’ai croisés dans mon parcours, je peux avouer qu’il est le meilleur enseignant et praticien que j’ai pu rencontrer. Le mieux est d’aller le voir dans un stage pour comprendre ce que je dis là.

Avec Bernard Bouheret, classe en Inde, Auroville, 2018.

On peut dire que tu n’as pas perdu de temps, c’est plutôt bien rythmé comme enchaînement !  Pourrais-tu nous dire quelle voie tu as choisie en Shiatsu ?  J’imagine que comme dans toutes les approches corporelles traditionnelles, il existe différentes orientations possibles.

Pour pouvoir répondre correctement à cette question, je dois retracer rapidement les grandes lignes de l’histoire du Shiatsu. À la base, il y avait pas mal de pratiques différentes de digitopression. Mais la première mention du terme Shiatsu a été faite dans un ouvrage de Tenpeki Tamai datant de 1939, qui s’intitule « Shiatsu Ryoho » (littéralement, « Shiatsu thérapeutique »). La croyance commune situe la création du Shiatsu par Tokujiro Namikoshi en 1950, mais en réalité, c’est beaucoup plus ancien que ça. Quoi qu’il en soit, Namikoshi était un autodidacte et son approche très pragmatique. Il se concentrait essentiellement sur la sphère physique et obtenait d’ailleurs de bons résultats au niveau physiologique. C’est d’ailleurs toujours le point fort de ce style de Shiatsu. Par contre, l’aspect énergétique n’était pas vraiment développé dans sa pratique. Cette dimension plus subtile a trouvé son ambassadeur grâce aux recherches passionnées de Shizuto Masunaga.  En effet, ce dernier, après s’être imprégné de l’approche mécanique du Shiatsu, a intégré les savoirs de la psychologie occidentale, de la médecine traditionnelle chinoise et tout particulièrement de l’utilisation des méridiens. C’est ainsi que sont nés les deux courants principaux.

A Tokyo dans une salle de classe du JSC, Tokyo 2016

Comme Masunaga était plus jeune et attiré par la découverte du monde, son style s’est plus rapidement propagé au grès de ses voyages, surtout en Occident. Le style de Namikoshi est quant à lui resté plutôt centré sur l’Asie jusqu’à assez récemment. Maintenant cela change, ils sont plus ouverts à la diffusion dans le monde entier. La version du Shiatsu avec les méridiens que nous connaissons en Occident est donc un héritage de Masunaga.

Étonnamment, on redécouvre aujourd’hui le Shiatsu des pressions à visée de relaxation musculaire, alors que c’était la première forme officielle (et toujours la principale) au Japon. D’ailleurs le seul titre d’Etat de « praticien de Shiatsu » qui existe au Japon est celui de l’école Namikoshi qui représente plus de 80% des praticiens du pays.

À titre personnel, j’ai été influencé par ces deux courants. Mes bases étaient construites sur le style de Namikoshi avec mon enseignante hollandaise. Avec l’enseignement de Kawada, j’ai été initié à l’aspect énergétique puisqu’il avait reçu la transmission des deux maîtres à la fois lorsqu’il était jeune étudiant au Japan Shiatsu College.

Par la suite, je me suis intéressé aux courants de Shiatsu issus des écoles martiales traditionnelles. Ces styles sont plus vieux, plus rustiques et plus rudes aussi. Ils sont clairement destinés à des pratiquants d’arts martiaux avec un corps déjà solide et endurant à la peine. J’aime bien cet aspect-là du Shiatsu, car il répondait à trente ans de pratiques d’arts martiaux qui ont façonné mon corps et mon mental d’une certaine manière. On le retrouve dans un style que je connais mal, le Shiatsu de maître Harada Shinsei de l’école Jigen ryû jujutsu, mais surtout dans le Koho Shiatsu de maître Ryūhō Okuyama de l’école Hakko ryû jujutsu. Le style Ohashiatsu de maître Ohashi est intéressant aussi et j’ai suivi ses séminaires en France et en Belgique. Il faut le voir faire un diagnostic oriental, c’est particulièrement bluffant et il reste ma référence en ce qui concerne l’observation. J’aime aussi sa liberté de penser qui lui a permis d’inventer d’autres formes de Shiatsu, notamment à l’aide d’un foulard (tenugui) ou encore son travail pour les femmes enceintes.

Avec Jean-Marc Weill et Bernard Bouheret, c’est l’approche thérapeutique du Shiatsu que j’ai pu développer. C’était ce qui m’avait toujours manqué dans mes cours et que je cherchais par moi-même. En effet, travailler sur le corps mécanique et sur les méridiens, je savais le faire, mais établir un bon diagnostic oriental selon la MTC et choisir parmi les points ceux qui vont vraiment répondre à la demande du receveur, c’est pour moi le sommet de l’art. Il ne s’agit plus de faire uniquement confiance en une intuition qui était basée sur… de l’intuition justement, mais d’être capable de construire un raisonnement structuré pour déterminer le meilleur traitement possible. Alors, et alors seulement, on peut lâcher prise et retourner dans l’intuition. La différence est que celle-ci se base sur des acquis solides. Mais grâce à cette approche, il y a bien moins de tâtonnements et d’approximations dans le traitement. Et de façon générale, je reste friand des stages proposés par les pointures dans ce domaine. Mon agenda est bien rempli de ce côté-là.

Au bout du compte, cela donne quoi dans tes mains ?

À un moment donné, à force de pratique, il y a forcément une fusion qui s’opère entre ces différentes approches. De tout ce que j’ai pu apprendre au cours de mon parcours, j’ai fait une synthèse intitulée « Ryoho Shiatsu » en hommage au fondateur méconnu, Tenpeki Tamai. Je m’efforce de faire comprendre à nos élèves qu’un problème d’origine mécanique se résoudra prioritairement à l’aide de techniques mécaniques.  Si quelqu’un vient pour un lumbago, tu peux toujours rêver pour lui résoudre rapidement son problème uniquement avec de l’énergétique. Certes, ça le soulagera, mais cela risque de prendre pas mal de temps. Selon mon expérience, l’idéal est de démarrer par l’approche mécanique. On malaxe le corps, on le dénoue, on l’étire, on mobilise les articulations et quand le corps est bien ouvert et détendu, c’est le moment parfait pour basculer en énergétique. Quand ce cocktail est bien dosé, les résultats sont vraiment impressionnants. Bien sûr, cela reste mon cheminement, ma vision des choses, et les autres approchent sont valables également.

En Shiatsu, comme dans les arts martiaux, il existe de nombreux styles qui se font concurrence et on tombe rapidement dans les guerres de chapelles aussi stupides qu’inutiles. Pour ma part, je serais incapable de dire qu’un style est meilleur qu’un autre. Par contre, chacun a ses points forts et ses points faibles. Mes années de pratique et toute ma réflexion tourne autour de l’union de tous les points forts que je trouve.

Eternel voyageur, ici dans une rue de Kyoto.

Le triangle formé par ton étude, ta pratique et ton enseignement est très complet. De quoi rêves-tu maintenant pour l’avenir ?

Je compte continuer mes recherches du côté énergétique. Tout au long de mes 30 années de pratiques martiales, j’ai entendu beaucoup d’histoires sur le sujet. Et c’est d’ailleurs ma curiosité en la matière qui m’a amené au Shiatsu, là où l’Aïkido a clairement échoué à m’expliquer ce qu’était le Ki. Le problème c’est qu’au-delà du blabla, il n’y a souvent pas grand-chose. Maintenant que je commence à découvrir, notamment grâce à la méditation, au Taichi et au Qi Gong, des perceptions énergétiques à la hauteur de ce que j’avais imaginé, je veux voir jusqu’où ça peut me mener. Et bien sûr, je souhaite continuer de sensibiliser les étudiants à l’importance de la méditation dans le cadre du développement de la puissance énergétique. Sans travail sur soi et sans une véritable capacité d’écoute, il est impossible d’accéder à cette dimension plus subtile et pourtant bien plus puissante que tout ce que l’on peut imaginer.

J’aimerais aussi creuser le côté historique, car je suis un historien amateur et bon connaisseur du Japon et de la Chine. J’ai la chance d’avoir étudié le Chinois pendant 5 ans lors de mes études aux Langues Orientales à Paris. Cela m’aide beaucoup. Si l’histoire de la Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC) est relativement bien connue, celle de la Médecine Traditionnelle du Japon (MTJ) l’est nettement moins. Enfin, je note qu’aujourd’hui l’histoire du Shiatsu reste à écrire. Le peu d’informations que je récolte patiemment montre qu’on n’entend pas mal d’âneries à ce sujet.

Par exemple ?

Par exemple que Masunaga fut le premier étudiant de Namikoshi, j’ai entendu ça souvent lors de stages. En réalité l’école de Namikoshi s’est ouverte en 1940 et Masunaga n’y est rentré qu’en 49. Donc pendant 9 ans l’école serait restée vide ? Ce genre de choses peut être vérifié et je ne comprends pas que les Japonais ne se soient pas attelés à cette tâche.

C’est effectivement un beau programme. Comment trouves-tu la force de faire tout cela ?

Ce n’est pas toujours évident, notamment avec une vie de famille bien chargée. Mais d’une manière générale je ne parlerais pas de force ni de motivation, mais de plaisir.

À chaque fois que je fais un Shiatsu à quelqu’un, j’y trouve un plaisir intense avec l’intime conviction d’être exactement à ma place. Cette sensation ne m’a pas quitté depuis mes initiations lorsque je découvrais le Shiatsu. Ce plaisir est parfois si fort qu’en sortant d’une séance je peux être plus en forme qu’au début et avec un moral à toute épreuve. C’est ce que j’explique souvent aux étudiants : le véritable paiement dans le Shiatsu c’est le sourire du client et le bien-être qu’on reçoit du Ciel.

En compagnie de son ami Philippe Banaï, au Congrès Européen de Shiatsu, Vienne 2017.

Tu as également appris le Qineizang, ce massage du ventre qui vient de Chine. Comment l’utilises-tu ?

Oui, et tu le sais bien puisqu’on a démarré l’étude du Qineizang (aussi écrit Chineitsang ; NDR) ensemble. Ce massage est juste incroyable ! Je lisais une interview de Stephan Vien qui disait que la lecture du visage était devenue une seconde nature chez lui. Hé bien pour ma part c’est celui du ventre. Le Qineizang m’a apporté une connaissance plus poussée du ventre que ce que le Shiatsu me proposait. Du coup, je base une grande partie du diagnostic oriental sur le toucher du hara, ce qui est en fait un art ancien au Japon et en Chine. Je ne mélange pas les deux techniques dans une séance, mais je passe facilement de l’un à l’autre dans le suivi d’une personne si je juge que cela peut lui faire du bien ou accélérer le processus de récupération énergétique d’une personne. Généralement les gens adorent.

Du coup je me suis procuré cet énorme livre en anglais qui s’appelle « Reflexions of the sea : hara diagnosis ». Il va me falloir des années pour l’assimiler, mais je compte bien pousser l’étude le plus loin possible dans ce domaine. De nombreuses écoles de Shiatsu ont une sorte de tabou qui est de ne jamais commencer une séance par le ventre. Je ne sais pas d’où cette croyance peut bien sortir, mais je trouve que c’est d’une absurdité sans fin. Après avoir fait des milliers de massages du ventre, je n’ai jamais rencontré de problèmes avec cela. De plus, Kawada, Ohashi et d’autres Japonais que j’ai rencontrés m’ont dit de toujours démarrer et finir une séance par le ventre. Je suis donc leur conseil avisé. Le hara est le centre du corps, de l’énergie, de l’équilibre, de la digestion, et il contient la plupart des organes. De là, on obtient toute l’information utile pour aider une personne.

Dans le Shiatsu il existe cette notion de Ki (ou Qi en Chinois), qui circule dans les méridiens, notion que l’on retrouve dans les arts martiaux d’ailleurs. Mais de nombreuses discussions et beaucoup de doutes existent à ce sujet. Qu’en penses-tu ?

La discussion est close le jour où on rencontre vraiment l’énergie et après cela il n’y a plus aucun doute. Cela m’est arrivé à ma 6ème ou 7ème  année d’études. Un soir en cours, l’énergie de la personne que je touchais est venue à flots dans mes mains puis dans les bras et enfin dans tout mon corps. C’était si incroyable comme sensation que j’en ai eu les larmes aux yeux. Évidemment après cela, dès que je cherchais à nouveau cette sensation, rien ne venait. Il a fallu encore quelques années pour que ce processus devienne plus aisé. Il m’a fallu surtout lâcher prise sur l’idée même de vouloir la trouver.

Séance de méditation Zen, une pratique découverte avec les arts martiaux japonais.

On peut répondre à la question de l’énergie de nombreuses façons et d’ailleurs la médecine chinoise donne plusieurs sources de production et plusieurs formes à l’énergie. C’est cette incompréhension (ou méconnaissance) qui est à l’origine des discussions. Pour moi c’est limpide : tout n’est qu’énergie, puisqu’à la base de la matière tout n’est qu’atomes et ondes. Je serai curieux que quelqu’un me dise le contraire. Il est possible non pas de voir ces atomes et ces ondes à l’œil nu, mais d’en ressentir l’énergie dégagée par leurs mouvements infinitésimaux. Une fois que l’on accepte de se laisser aller à cette dimension, elle vient à nous très facilement. Après, on peut lui donner une direction ou une autre, avec ou sans intention, mais c’est une autre histoire.

Pour les arts martiaux, s’il existe toujours des interrogations à ce sujet, c’est tout simplement parce que cette étude ne rentre pas dans le cadre technique et sportif dans lequel on a enserré les disciplines martiales. Sans formation, pas de compréhension.

Question directe maintenant : le Shiatsu est-il une médecine en soi ?

Je vois ce que tu veux dire. Une médecine en soi, non je ne pense pas, car il n’y a pas cette notion d’utilisation des plantes ou des molécules propre à la médecine occidentale. De plus, on ne peut pas tout faire avec le Shiatsu. Mais bon, quelle médecine arrive aujourd’hui à tout faire ? Par contre, c’est une approche complémentaire, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Au Japon, le Shiatsu est une médecine à part entière depuis les années 60, reconnue et agréée par le Ministère de la Santé. Pourquoi pas chez nous ? Idem en Chine avec cette autre version qu’est le Tuina. Aux USA, au Canada, en Suisse, en Allemagne, le Shiatsu est une médecine complémentaire. En France, le métier de praticien de Shiatsu est reconnu depuis 2015. Ces pays seraient-ils plus bêtes que nous le sommes en Belgique ? Ou bien avons-nous raté quelque chose que ces pays ont compris ?

En Occident, il faut généralement tout prouver du point de vue scientifique. Pour moi la seule preuve utile sont les résultats et c’est d’ailleurs là-dessus que travaillent la plupart des études scientifiques sur le Shiatsu. Quand on sait qu’il n’y a jamais eu d’accidents avec le Shiatsu, je me pose la question de ce qui rend les autorités si frileuses… Par contre, dans tous les pays où le Shiatsu est intégré, non seulement médecins et infirmiers s’en félicitent, mais les patients sont bien contents d’avoir un outil de plus dans l’arsenal thérapeutique qui leur est proposé. Et en aucune manière cela n’a ralenti les consultations médicales, il n’y a donc jamais eu de pertes, mais une plus grande satisfaction de tous. On reproche parfois le manque de formation des praticiens de Shiatsu, mais dès qu’il y a reconnaissance, les autorités mettent bon ordre à cela. Il suffit de se baser sur le Japon, le Canada, l’Allemagne ou la Suisse et de partir sur des cursus d’études validées par l’État et la question sera réglée.

Donc, oui, le Shiatsu est une thérapie complémentaire. Pour comprendre cette complémentarité, on peut faire le constat suivant dans un langage scientifique et concret : la chirurgie tranche dans le vif puis recoud. Elle travaille au niveau de la matière. La médecine allopathique utilise des molécules. Elle travaille donc au niveau de la chimie, ce qui est déjà plus subtil. La médecine nucléaire utilise les rayons, notamment dans les cas de cancer, mais aussi pour prendre une radio. Elle travaille donc au niveau des atomes. La psychologie et l’hypnose font appel à la pensée et aux souvenirs, mais aussi aux mécanismes du mental (conscient, inconscient, etc.). Elles travaillent donc au niveau des échanges électriques du cerveau, ce qui est encore plus subtil, non ? Les IRM, ces outils formidables pour voir l’intérieur du corps, utilisent des ondes sonores. On peut donc parler de médecine du son, qui d’ailleurs est en train d’évoluer à toute vitesse en ce moment. Le Shiatsu comme l’acupuncture utilise l’énergie dégagée par le corps, donc par le mouvement des atomes, mais pas uniquement. On peut donc parler de médecine énergétique dans ce cas présent. Pourquoi ne trouverait-elle pas sa place à côté des autres ?

Merci d’avoir éclairé ces quelques questions et bonne continuation dans cette passion du Shiatsu.

Merci à toi.

Auteur : Pierre-Emmanuel Canon


Pour retrouver Ivan Bel :


Références :

  • [i] Enseignante française de Shiatsu à Paris, style Iokaï Shiatsu de Masunaga. Elle fut notamment l’élève de Yasutaka Hanamura et de Kazunori Sasaki.
  • [ii] Professeur d’Aïkido et de Iaïdo, étudiant également à l’école de Kuroda Senseï au Japon, Jean-Marc Dessapt enseigne ces arts martiaux à Toulouse.
  • [iii] Yuichi Kawada est basé à Bruxelles et enseigne son propre style, le Yoseido Shiatsu.
  • [iv] Shigeru Onoda est le représentant du Shiatsu Namikoshi en Europe. Basé à Madrid, il est aussi le fondateur de son propre style, Aze Shiatsu.
  • [v] Wataru Ohashi a créé le Ohashiatsu, technique qui évolue en « Méthode Ohashi » tant il intègre de nombreux apports dans son Shiatsu. Il enseigne à travers le monde et est basé à New-York.
  • [vi] Jean-Marc Weill est également enseignant de Shiatsu en France, en Guyane et en Belgique.
  • [vii] Raphaël Piotto est acunpuncteur et enseignant de médecine chinoise. Il aime utiliser l’énergétique chinoise avec les doigts uniquement.
  • [viii] Bernard Bouheret et l’auteur de nombreux livres dont le fameux « Vade Mecum de Shiatsu – 108 préscriptions pour le Shiatsu Thérapeutique », et fondateur de son style, le Sei Shiatsu. Il enseigne à Paris à l’EST. C’est aussi un fin connaisseur du Qi gong.
  • [ix] Frans Copers fut le pionnier du Shiatsu en Belgique, président de la Fédération Belge pendant 20 ans, puis président de la Fédération Européenne de Shiatsu. Aujourd’hui, il est l’héritier du Seiki Soho de maître Akinobu Kishi, qu’il enseigne avec talent.
  • [x] Très exactement, Ivan fut reçu par Kazutami Namikoshi, Yuji Namikoshi, Akitomo Kobayashi (senior instructor) et Kazuo Watanabe (chargé de cours et de la recherche scientifique).
  • [xi] Yasuhiro Irie est maître de Kokodo Jujitsu et de Koho Shiatsu.
Ivan Bel

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