Interview : Frans Copers, maître de shiatsu et seiki soho

29 Sep, 2016
Reading Time: 12 minutes
Frans Copers est une figure incontournable du Shiatsu européen. Pionnier du Shiatsu en Belgique, il fut pendant 20 ans le président de la Fédération Belge de Shiatsu, puis pendant 8 ans celui de la Fédération Européenne de Shiatsu. Lors des stages internationaux, lorsqu’on dit venir de Belgique, tout le monde demande si on connait Frans Copers. Bien sûr qu’on le connait, mais peu de gens en revanche connaissent son parcours. Dans cette série de portraits sur les grands enseignants de Shiatsu, il nous est apparu naturel de commencer par lui. Découverte d’un personnage qui a dédié sa vie à promouvoir le Shiatsu à tous les niveaux.

 

Bonjour Frans et merci de venir parler du Shiatsu avec nous. Pour commencer, pourriez-vous me dire quelle est l’histoire du Shiatsu en Belgique ?

Kushi Michio senseï

Bonjour. Tout comme en Angleterre, c’est par le biais de la macrobiotique que le shiatsu s’est implanté en Belgique. Un jeune médecin belge (Marc Van Cauwenberge) avait suivi des cours de médecine orientale et de macrobiotique avec Michio Kushi senseï à Boston aux États-Unis. A son retour, il avait donné une série de conférences et je suis allé l’écouter. Cela m’avait paru une belle voie à suivre qui me parlait davantage que la médecine classique. J’ai alors arrêté mes études (de médecine moderne) et je suis allé en Amérique. Là, à Boston au centre Est-Ouest, il y avait toutes sortes de cours de médecine orientale, cours de cuisine et aussi de Shiatsu. Du coup, j’ai suivi aussi cette voie. D’abord quelques cours d’introduction et puis très vite beaucoup de cours sous la direction de Bill Painter en 1972 pendant deux niveaux et le troisième niveau avec Michio Kushi, le dernier cours de Shiatsu qu’il ait donné… Cela devrait correspondre à la première année dans les écoles de shiatsu de nos jours.

Finalement, j’avais 24 ans quand j’ai passé l’examen avec Michio (comme on l’appelait par son prénom), mon senseï. D’ailleurs, c’est une bonne anecdote à raconter. Il m’avait dit que lorsque je serais prêt à passer l’examen, il fallait le contacter. Plusieurs mois après la fin des cours, je prends un rendez-vous à 15h avec lui. J’attends dans un couloir et on me dit qu’il ne sera pas là avant quelques heures. J’attends donc quelques heures mais Michio ne vient toujours pas, et on me demandait de revenir le lendemain. Alors, bien sur, le lendemain je suis revenu et même chose. J’ai comme ça pris plusieurs rendez-vous sur cinq journées différentes et à la dernière Michio arrive et me serre la main en me disant « félicitations, vous êtes reçu ». En bon japonais, il savait que j’étais vraiment motivé et avait assez de volonté pour devenir praticien de Shiatsu. Bien sûr de nos jours les examens ne marchent plus comme ça, mais dans le temps ça marchait. (sourire)

Comment avez-vous démarré la pratique du Shiatsu ?

En fait, je ne pensais pas devenir praticien au sens thérapeutique du terme, mais je faisais surtout du bien-être avec le Shiatsu. Je jouais notamment du saxophone dans un petit groupe et les musiciens aimaient bien boire. Après les concerts, le lendemain ils avaient la gueule de bois et la nuque raide. Alors, dans le bus qui nous amenait d’un endroit à l’autre, ils me disaient « Frans, détend moi la nuque, ou fais passer mon mal de crâne ». C’est comme ça que j’ai fait mes premiers pas de pratique professionnelle.

Shizuko Yamamoto senseï, fondatrice du Shiatsu au pieds nus.

Après cette période, je suis rentré en Belgique, me suis installé à Gand où j’ai ouvert un restaurant macrobiotique appelé SOU EN (un nom que j’avais emprunté d’un resto Japonais macrobiotique à New York, ou j’avais été reçu très cordialement avant mon départ de l’Amérique.En 1974, je suis revenu aux États-Unis et j’ai étudié avec Shizuko Yamamoto senseï et Patrick Mcatry son assistant, de manière bien plus intensive, car je percevais que l’on pouvait faire beaucoup avec le Shiatsu… Quelques années plus tard elle m’a demandé de joindre son organisation The Macrobiotic Shiatsu Society et de démarrer un branche en Belgique qui s’est développé dans la Fédération de Shiatsu Belge.

Avec peu d’argent et l’aide de ma femme et de mes amis, nous avons réussi à en faire un grand succès, avec 300 personnes par jour en moyenne les dernières années, d’une période de sept ans. En 1984 j’ai vendu l’affaire et avec l’argent gagné, je suis parti au Japon cette fois. Une fois sur place, j’ai contacté quelques amis Japonais qui m’ont donné l’avis d’acheter le Tokyo Journal pour m’informer sur les écoles de shiatsu disponibles. Là j’ai trouvé une foule d’adresses d’écoles de Shiatsu. D’abord je suis allé voir le Namikoshi Shiatsu College avec mon fils et ma femme. Mais comme il n’y avait pas de cours en anglais, j’ai juste acheté leur livre. Après, je suis allé à l’école Iokaï de Masunaga sensei et là il y avait des cours en anglais sous la direction de Kimura senseï et contrairement à toutes les écoles où j’avais téléphoné, j’ai senti que j’étais vraiment le bienvenu.

Mon temps s’organisait comme suit : j’allais deux fois par semaine faire de l’aïkido au Hombu dojo, et après l’un des deux cours, j’allais à pied à l’école Iokaï qui n’était pas très loin. En plus de ce cours hebdomadaire, Kimura donnait des cours privés chez lui dans une pièce de quelques tatamis seulement. Et là, j’ai suivi sept mois de cours intensifs, créant de ce fait un lien tout particulier avec lui. Comme j’avais encore du temps, j’ai poursuivi ma formation en macrobiotique au Nippon CI avec (entre autres) Lima Ohsawa, la femme du maître Georges Ohsawa.

Shizuto Kimura senseï de nos jours, de l’école Iokaï, Zen Shiatsu.

Ce n’est qu’à mon retour du Japon que j’ai enfin décidé et osé d’ouvrir une petite pratique de Shiatsu.

Que faites-vous alors à partir de ce moment-là ?

Déjà à l’époque du restaurant, malgré le fait que je travaillais quasiment 7 jours sur 7, je donnais dans la cave qui était assez grande, des cours d’initiation. Donc à mon retour, j’ai recommencé ces cours d’initiation et certains des étudiants attendaient depuis un an que je fasse une vraie formation pour devenir professionnel. Alors, cela s’est fait tout seul, niveau 1, puis 2, puis 3, jusqu’à ce que je créé un examen. Alors j’ai contacté les écoles et centres de shiatsu qui étaient déjà présents en Belgique et leur proposais de joindre l’organisation de Shizuko Yamamoto.

Quelles écoles étaient déjà actives en Belgique au début des années 80 ?

L’école d’André Pope, Manipura, le Centre Est-Ouest, l’ISS de Jan Vervecken (International Shiatsu Institute) par exemple, plus toutes sortes d’initiative comme une école Namikoshi qui venait de Hollande mais qui n’a pas duré longtemps. Nous étions surtout sur la Flandre, et constamment nous avons ainsi essayé de réunir tout le monde de shiatsu de ce temps là. Plus tard, pour pouvoir adhérer à la Fédération de Shiatsu Européenne (FES), nous avons changé le nom de notre association (Macrobiotische Shiatsu Vereniging van België) et avons créé la « Belgische Shiatsu Federatie » (en Français: Fédération Belge de Shiatsu ou FBS) dont je suis devenu le président pendant plus de vingt ans, puisque -à notre connaissance- il n’y avait pas encore d’écoles côté francophone a part l’école de Kawada sensei, YoSeiDo Shiatsu, que nous avons contacté, mais il n’avait pas d’intérêt pour participer au projet. Nous voulions bien être « Belge », mais n’avions peu de contacts côté francophone. Après quelques années, la première école francophone à adhérer à la BSF/FBS a été Kajudo, l’école d’Elisa Carpiaux, que j’avais rencontrée en Suisse à Kiental pendant un congrès international de Shiatsu.

Frans Copers donnant un traitement de la tête.

Mon but était, malgré les différences de styles d’écoles, qu’elles communiquent et fonctionnent bien ensemble et que nous soyons reconnus comme profession à part entière. Ma volonté était de rassembler tout le monde au sein de la FBS. Kishi senseï mon maître de Seiki me disait que c’était contre la tradition japonaise. Au Japon, les écoles se battent les unes contre les autres il me disait. Mais en tant que personne profondément européenne, je ne pouvais pas accepter cela. J’aimais beaucoup Kishi senseï mais ne croyais pas tout ce qu’il disait. J’ai d’ailleurs, lors d’un de mes autres voyages au Japon, demandé à Fujisaki senseï, président de la fédération de Shiatsu Zen au Japon, si c’était bien vrai tout cela. Il m’a répondu que « non ce n’est pas vrai que les écoles luttent les unes contre les autres…. Elles s’ignorent seulement ». (Rires). Mais là-bas le Shiatsu est reconnu, pas en Belgique ni au niveau européen. Nous avons donc tout intérêt à rester uni pour faire front commun pour défendre l’objectif de la reconnaissance du Shiatsu.

Akinobu Kishi et Kyoko Kishi sensei, fondateurs de Seiki après des années à pratiquer et enseigner le Shiatsu.

Malgré tout, les dernières années je perdais peu à peu le contrôle de la fédération, ce qui est aussi bon signe, car c’est le principe de la démocratie. Aujourd’hui elle vit son histoire comme elle l’entend.

Quelle est la situation du Shiatsu en Belgique ?

La FBS a plus ou moins 200 membres recensés. Mais dans la nature, des praticiens qui ne sont pas affiliés, je dirais entre 500 et 700 personnes à la louche. Évidemment, ce n’est pas précis, je dois deviner un peu, mais c’est mon expérience du terrain qui me fait dire cela.

En nombres d’écoles la FBS compte une quinzaine d’écoles dont deux pour le Shiatsu équin, à Bruxelles deux bilingues et en Wallonie aussi deux. Mais il en existe davantage, notamment du côté francophone comme celle du Yoseido Shiatsu, l’école Iokaï, l’École européenne de massage (EEM), les deux écoles Namikoshi à Liège et Namur, etc.

Frans Copers et Akitomo Kobayashi senseï de l’école Namikoshi Shiatsu.

C’est déjà pas mal pour un petit pays comme la Belgique !

Cela dépend du point de vue. Si tu prends comme exemple la ville italienne de Milan, il existe 14 écoles de Shiatsu. Juste pour une ville. Donc, on peut faire largement mieux.

De nos jours, est-ce que le Shiatsu continue à progresser dans le pays ?

Oui et non. On voit une nette accélération du côté francophone avec une envie forte d’améliorer le niveau des formations vers une pratique thérapeutique. Beaucoup d’étudiants sortent maintenant des écoles chaque année. Parallèlement du côté flamand la FBS semble vouloir revenir en arrière et ne s’intéresser qu’au Shiatsu de confort, peut être par peur d’être exclu à cause de l’application de la Loi Colla, concernant la reconnaissance des médecines naturelles en Belgique, qui est appliquée d’une façon très restreinte. On sent bien deux mouvements différents. Le vent frais, si je puis dire, vient des francophones à mon avis.

Harada Shinsei senseï, fondateur de l’école martiale Jigen Ryû dans laquelle on trouve le style Koho Igaku Shiatsu. Il fut l’un des mentors de Frans Copers.

Mais avec 25 ans d’histoire, est-ce que vous ne pensez pas que le Shiatsu est aujourd’hui suffisamment mâture pour sortir du Shiatsu de bien-être ?

 

Frans Copers donnant cours.

Oui, et c’est la voie que je soutiens. Mais encore une fois c’est la volonté des francophones, tandis que la Flandre stagne. Par exemple, le fait que l’EEM à Bruxelles mette sa formation sur 3 ans plus une année de spécialisation (donc 4 au total) montre cette volonté de changement.

En Europe avec 30 ans d’histoire le Shiatsu mûrit. Mais il n’est pas encore au point, notamment au niveau des formations. Celles-ci sont encore trop légères, surtout si l’on compare avec les écoles japonaises ou canadiennes (2000 heures en moyenne) ou même tout simplement suisses (850h, le plus haut niveau en Europe aujourd’hui). Ensuite, il faut pouvoir discuter avec les instances politiques, qui ne sont pas toujours heureuses de nous entendre, et savoir comment s’insérer dans un système de santé qui serait plus proche de ce que l’on appelle la médecine holistique et intégrative, comme ils le font dans les pays scandinaves. Le problème de l’Europe en tant qu’union c’est qu’elle ne gère pas la politique de santé. Chaque pays fait ce qu’il veut. Le problème du Shiatsu au niveau européen, c’est que les formations ne sont pas agréées et donc encadrées.

Justement, parlez-moi un peu du Shiatsu au niveau européen ?

Frans Copers représentant la Fédération Européenne de Shiatsu avec Seamus Connor.

Il existe deux grandes institutions politiques : la Fédération Européenne de Shiatsu (FES) avec la Suède, Belgique, Autriche, République Tchèque, Irlande, Angleterre, Espagne et Italie (Federshiatsu), d’une part et l’International Shiatsu Network (ISN) d’autre part avec la Suisse, l’Allemagne et Italie encore (FISeo). Mais au sein même de ces organisations, il y a des tendances qui s’affrontent. Par exemple, un certain moment les Anglais ont critiqué la manière dont nous organisons la formation en Belgique, avec trois niveaux différents. Pour eux, le Shiatsu c’est le Shiatsu. On se forme pour être un professionnel sérieux et c’est tout. Il n’y a pas de demi-mesure et de niveau Shiatsu familial, bien-être, etc. Malgré cela, ils ont fini par accepter notre vision et font du bien-être et du thérapeutique. Comme quoi il y a des évolutions.

Le but prioritaire de la FES est la reconnaissance du Shiatsu en Europe en tant que profession et je le sais bien puisque j’ai été son secrétaire pendant pas moins de 8 ans et son président pendant quatre années jusqu’à récemment. L’ISN de son côté est un réseau, où les Fédérations Nationales s’informent, se soutiennent et échangent, mais ils ont plus de liberté et ne veulent pas trop de mettre de règles. Pendant ma présidence, j’ai tenté de rapprocher les deux organisations pour avoir une plus grande force de persuasion auprès des institutions politiques, mais cela n’a pas trop marché.

Merci beaucoup Frans pour votre amitié et votre combat pour le Shiatsu pendant toutes ces années.

Avec plaisir.


Liens vers Frans Copers :

Ivan Bel

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